Un faux fauté enregistré dans les bases nationales Joconde
- 6 mars, 2016 -
- Classé dans Général
La monnaie présentée sur le blog CGB le 15 février 2016 comme étant une double incuse de cinq centimes Dupré doit être considérée, comme toutes les doubles incuses, comme étant un « faux fauté » fabriqué pour tromper les collectionneurs.
Pour s’en rendre compte, il est nécessaire de bien visualiser le processus de frappe d’un flan vierge dans un balancier monétaire, puis de visualiser les erreurs de manipulation qui conduisent à la naissance d’une « vraie fautée » incuse et d’imaginer ce faisant comment une double incuse pourrait sortir d’un balancier monétaire.
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La frappe d’un flan vierge
Un balancier monétaire est constitué d’une partie fixe et d’une partie mobile chacune pourvue d’un coin : un d’avers et un de revers. Les coins, pour que la monnaie ressorte frappée en relief et à l’endroit, sont en empreinte creuse, à l’envers. Un flan vierge est posé dans la partie fixe du balancier et la partie mobile vient frapper avec force dans un mouvement descendant la partie fixe. Le résultat est une monnaie dont les deux faces sont frappées en relief et à l’endroit. Elle s’éjecte lors de la remontée du coin mobile ou à défaut par retrait manuel.
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La naissance d’une monnaie incuse
Le rendement de la frappe au balancier était élevé puisque d’environ 30 monnaies à la minutes, selon différentes sources. Imaginons à présent que cette cadence infernale trompe la vigilance des ouvriers qui ne voient pas que la monnaie qu’ils viennent de frapper est toujours dans le balancier et y introduisent un nouveau flan vierge.
Dans notre exemple, imaginons le cas le plus courant : la monnaie frappée est restée dans le coin fixe en partie basse (il est possible d’imaginer le cas où la monnaie reste encastrée dans la partie mobile du coin, cela ne change rien à l’exemple qui va suivre).
Un flan vierge est introduit dans le balancier. Il ne va pas être frappé entre deux coins mais entre un coin positionné dans la partie supérieure du balancier et la monnaie frappée normalement et demeuré accidentellement dans la partie inférieure du balancier. Pour imager notre exemple, partons du principe que le coin supérieur est celui de la Marianne de Dupré qu’on trouve justement sur les 5 centimes. Le résultat d’un tel accident est sans appel : en partie basse, le flan va prendre l’empreinte en creux de la face exposée de la monnaie (le buste de Marianne) et, en partie haute, l’empreinte en relief du coin monétaire (également le buste de Marianne). Une belle photo conforme à notre exemple est disponible page 101 du Franc10.
Une monnaie incuse ne peut l’être que sur une face et, eu égard à l’agencement des coins dans le balancier et de la monnaie « normale » qui y reste par accident, chacune des faces est identique (deux avers ou deux revers). Il ne peut donc y avoir de double incuse et encore moins avec une face d’avers et une face de revers.
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Du coup qu’est-ce qu’une double incuse ?
L’arnaque de ces faux pour collectionneurs réside dans l’intuition qu’un tel accident serait possible dans le cas de figure suivant : restent coincés dans le balancier une monnaie normale (par exemple dans le coin fixe) et une monnaie incuse (dans le coin mobile). On y ajouterait alors un flan vierge. Le résultat d’un tel agencement est cependant sans appel : le nouveau flan se trouve frappé entre une monnaie normale présentant en relief le buste de Marianne et une monnaie incuse présentant en creux le buste de Marianne (pour reprendre notre exemple). L’imagination intuitive ne résiste pas longtemps à la visualisation technique des procédés de frappe.
Par définition une double incuse est le produit de la frappe d’un flan entre deux empreintes en relief. De telles empreintes ne peuvent être des coins qui sont forcément en creux, il s’agit donc des faces de deux monnaies distinctes. Nous avons vu qu’il est impossible de trouver un tel agencement accidentel dans un balancier monétaire. Une telle production est donc volontaire et cette volonté a pour seul objet de tromper des collectionneurs en vendant plusieurs centaines d’euros des bidouillages sans intérêt numismatique.
Dans le bulletin numismatique n°21, en page 3, Michel Prieur exposait une double incuse particulièrement grossière présentant une face d’avers d’un sol royal de Louis XVI associée à une face de revers d’une 5 centimes Dupré. L’intérêt d’exposer un tel faux grossier est de montrer que tout est possible et que tout à chacun peut fabriquer de tels spécimens chez soi. Michel Prieur parlait de la technique de l’étau mais n’importe quel procédé mécanique est valable pourvu qu’une force suffisante puisse s’exercer pour insculper des empreintes dans du métal. Les magasins de bricolage ne manquent pas d’outils pour ce faire.
Conclusion : les doubles incuses sont techniquement impossibles et doivent être considérées pour ce qu’elles sont : des faux pour collectionneur. Certains se font berner et si jamais leurs collections sont léguées à un musée, on se retrouve facilement avec des bidouillages grotesques présentés sérieusement dans des collections publiques. Ne doutons pas que les faux chinois ou d’ailleurs y feront aussi leur entrée un jour. N’imaginons pas non plus que de tels faux ne se trouvent que sur le grand site d’enchères. Celui-ci en est sans doute l’une des portes de commercialisation primaire mais les faux peuvent finir par atterrir sur les plateaux des professionnels. Ainsi, j’ai pu voir ces derniers jours sur le site d’un professionnel affilié au SNENNP une double incuse de 5 centimes Dupré en vente pour la somme modique de 200€. Y-aura-t-il un acheteur intéressé ?
Frédéric MATHIEU (ADF547)
Nous remercions Frédéric Mathieu pour son article intéressant et pour les précisions nécessaires apportées.
Source: Un faux fauté enregistré dans les bases nationales Joconde